Chronique IV

Nous prend-on vraiment pour des cons ?

 

C’est la question que je me posais l’autre jour en lisant la jaquette d’un album de musique de danse de jeunes.

La vérité m’oblige à préciser que, vu le peu d’attrait qu’exerce sur moi ce type de sonorités, un pénible s’était chargé de m’imposer son bruit au nom de la tolérance et de l’ouverture d’esprit. On a les arguments que l’on peut pour défendre ce que l’on apprécie. Toujours est-il que le livret susmentionné annonçait à qui veut le lire, moi en l’occurrence, et je cite : << Marylyn Manson, le seul ennemi des Etats Unis avec Saddam Hussein.>>, fin de citation. Interloqué par le texte, je le relus. En effet, ces quelques mots étaient bien couchés sur le papier glacé que je tenais entre les mains. Au vu des paroles des chansons des hurluberlus vociférant leur mal de vivre sur fond de guitares saturées évoquant la fraise de dentiste attaquant la troisième molaire du fond à gauche, il ne pouvait s’agir d’une tentative d’ironie, mais bel et bien d’un simple constat désarmant de naïveté.

Le seul ennemi des Etats Unis avec Saddam Hussein. De telles paroles m’invitaient à une réflexion dont je fis part à l’admirateur inconditionnel du groupe.

Reprenons les choses depuis le début. Saddam Hussein,  obscur dictateur d’un pays royalement ignoré et méprisé du reste du monde faisait son boulot de dictateur sans rien demander à personne, jusqu’au jour fatidique, où, Allah seul sait quelle mouche l’a piqué, on ne m’ôtera pas de l’idée que certains individus dans les milieux qualifiés de bien informés aussi, décide d’envahir un pays voisin. Là, c’est moins drôle.

Car le pays voisin en question est le puits de pétrole du monde libre, est-il besoin de rappeler aux lecteurs que ce monde dit libre est le seul qui vaille d’être mentionné, les autres n’étant que des arriérés dont il convient de se méfier, la preuve c’est qu’ils sont pas dans le bon camp. Bref, un vilain monsieur, quelque part mettait la main sur les barils de brut qui font la fierté et la richesse de leurs exportateurs et accessoirement la honte et la détresse des cormorans mazoutés par les périssoires chargé d’acheminer le précieux liquide dans d’autres contrées.

Et le vilain monsieur de ne pas vouloir rendre ce qui ne lui appartient pas. Et c’est là qu’on commence à se gondoler les enfants.

Parce que tant que ce moustachu, détail qui a son importance on le verra par la suite, ne faisait rien d’autre que de s’étriper avec celui d’à côté, celui qui n’a pas de pétrole, juste des poupées barbues, ça faisait marcher le commerce : il achetait des armes aux puissances occidentales, et tout le monde s’en portait à merveille. Sauf bien entendu le combattant lambda de l’un ou l’autre camp, mais ça n’a aucune importance, son avis ne compte pas.

Mais que du jour au lendemain le même moustachu sympathique, forcément puisque soutenu par le monde libre, change de cible et le chœur des vierges éplorées des Nations Unies entonne avec un touchant ensemble : <<Bouh le vilain !>>

Ca ne fait pas changer d’idée le moustachu qui en refusant d’écouter les Nations Unies devient encore plus méchant et laid et bête. Une conclusion s’impose, comme le dirait Mimile, mon pote du café d’en bas, <<Y a qu’à lui foutre une bombe sur la gueule.>> Et on s’est mis à y penser. Simplement à l’ère du tout tout de suite, de la télévision et des infos en direct live, et surtout depuis quelques échanges de politesse en Asie du Sud-Est, plus personne n’est vraiment chaud pour une bonne vieille boucherie dans les sables d’un désert dont tout le monde se foutait jusqu’ici. Alors, les gens, que décidément la bêtise, la laideur et la méchanceté du moustachu révoltent somment leurs représentants de faire quelque chose. Obéissant à la pression populaire, les élus du peuple obéissent et rameutent quelques copains à eux pour faire bonne mesure. Ben oui, à trente contre un on lui laisse aucune chance et puis surtout il ne risque pas de faire de pertes dans notre camp, chose qui traumatiserait durablement la nation. C’est à ce moment qu’on a établi les concepts de frappes chirurgicales et de guerre propre. Vu de chez moi, ça m’a furieusement évoqué une rencontre entre une trentaine de supporters du KOP de Boulogne et d’un épicier prénommé Mouloud.

Toujours est-il que pour légitimer ne fut-ce qu’un bref instant la ratonnade à venir, on débaucha toutes sortes de grands pontes de l’intoxication en temps de guerre, de psychologues, sociologues et autres pour faire de notre dictateur des sables l’ennemi du monde libre. Cela passa notamment par le raccourcissement de sa moustache sur les photos officielles de façon à la rapprocher le plus possible, dans l’inconscient collectif de celle d’un certain A H, démocrate allemand bien connu de la première moitié du siècle dernier. Et tous ces beaux cerveaux se mirent en effervescence pour transformer un sale type ordinaire en une fascinante synthèse de l’antéchrist et du marxisme. Un véritable chef d’œuvre dans on genre. Et ça a marché et ça marche toujours.

La suite est connue.

Pour en revenir à notre groupe de bruyants déplaisants, ils ne sont les ennemis de l’Amérique que parce que celle-ci s’en fabrique au grés de ses besoins politiques et sociaux. Au même titre qu’elle fabrique des westerns à certaines périodes de son existence pour tenter de renouer avec les valeurs des pionniers qui bâtirent cette grande et belle nation. Conclusion, d’un groupe de prétendus rebelles brocardant allégrement les valeurs et le mode de vie de leurs compatriotes, on obtient, à condition de gratter un peu, un pur produit marketing destiné à un certain type de public, comme les chewing gums à la fraise ou à la chlorophylle. Wah, ça donne envie d’être un rebelle et d’écouter de la musique contestataire.

Fort de cette analyse, le crétin, appelons un chat un chat voulez vous, se tint coi et n’osa pas lever un doigt quand d’une énergique calotte j’ouvrais le compartiment CD de son juke box portatif pour en extraire le support numérique de son bruit. Curieusement, le calme revint et nous pûmes reprendre la conversation où elle s’était interrompue suite aux hurlements hystériques de Marylyn Manson.

 

Y a pas, c’est quand même beau le progrès.

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